Moi, dans l’image. / Todtnauberg, 1:1
: Ce n’est pas un portrait.
Encore moins un autoportrait pour le salon. (Moi — frontal, nu. Sans alibi.)
L’appareil photo ? C’est moi.
Le sujet ? Moi aussi.
(On dirait : je témoigne de moi-même. Mais c’est déjà trop dire.)
L’image :
un visage. Le mien. Sans maquillage, sans distance.
Gros plan = responsabilité proche.
Pas l’art du beau. Mais de la trace. De la faute, peut-être. (Ou du souvenir, si l’on veut adoucir.)
: Todtnauberg.
La série. L’endroit. La cabane. Les mots qui ne sont pas venus.
(Juillet 49, Celan rencontre Heidegger. — Il reste un poème. Il manque une phrase.)
Je viens de là. Ou d’à côté. Donc : pas innocent.
La forêt qu’Heidegger regardait — je l’ai respirée.
Pas par choix. Par origine.
La photo : pas une pose.
Mais une prise de position. Une attitude — dans la chair.
Le regard ? — pas un regard, un contre-regard.
(Non, je ne te regarde pas. Je te traverse. Jusqu’à ce que tu évites.)
L’image est rugueuse, granuleuse. Comme l’Histoire sous les ongles.
Comme la honte, agrandie.
Je me mets dans l’image —
non pour être vu. Mais pour ne pas fuir.
Le lieu l’exige.
L’ombre de Todtnauberg : ce n’est pas la météo.
Celui qui peut, qu’il regarde. Celui qui ne peut pas — qu’il détourne.
Mais une chose reste :
Il y a quelqu’un debout. Et il reste debout.
Se tenir dans l’image : Matthias Koch à Todtnauberg
Dans un bref poème intitulé Moi, dans l’image. / Todtnauberg, 1:1, Matthias Koch interroge l’acte même de se représenter. Mais ce n’est ni un autoportrait narcissique, ni une quête d’identité. C’est un geste de présence, un refus de fuite. Une manière de répondre à un lieu — Todtnauberg — dont l’histoire déborde les limites du paysage.
La photographie évoquée n’est pas là pour séduire : elle est brute, granuleuse, rugueuse comme la mémoire enfouie. Koch s’y expose sans détour : Moi — frontal, nu. Sans alibi. Le photographe devient son propre sujet, son propre appareil : il se place dans l’image comme on se place dans un champ de tension. Pas pour se montrer, mais pour assumer une position. Il ne s’agit pas de regarder, mais de traverser — et d’être traversé.
Todtnauberg : ce nom claque comme une borne. Un lieu où, en juillet 1949, Paul Celan rencontre Martin Heidegger dans la cabane du philosophe. Un lieu de rendez-vous manqué, où les mots n’ont pas comblé le gouffre. Le poème de Celan, Todtnauberg, reste chargé de cette attente d’un mot — qui ne viendra pas. Matthias Koch, lui, déclare : Je viens de là. Ou d’à côté. Donc : pas innocent. L’aveu est net : le territoire photographié est aussi un territoire d’origine. Il engage une mémoire collective, un inconfort transmis, un silence qu’il ne s’agit plus d’ignorer.
Ce n’est donc pas une image posée. C’est une prise de position, une attitude dans la chair. Koch ne se représente pas : il se tient. Et il tient. Le regard qu’il propose n’est pas un regard tourné vers l’autre, mais un contre-regard : Je ne te regarde pas. Je te traverse. L’image devient alors un test : Celui qui peut, qu’il regarde. Celui qui ne peut pas — qu’il détourne.
Dans ce face-à-face sans fard, la photographie devient un lieu de responsabilité. Un lieu où l’on ne cherche pas à être vu, mais à ne pas se dérober. Koch se tient debout, non pour figurer, mais pour répondre à l’ombre du lieu. Cette ombre n’est pas une atmosphère. Elle est une exigence morale.
Il y a là, dans cette manière d’habiter l’image, quelque chose d’essentiel pour notre temps : un refus du confort, une confrontation avec ce qui ne passe pas, avec ce que l’histoire laisse sous les ongles — comme une cendre indélébile.
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Série photographique : Todtnauberg